vendredi 8 novembre 2019

Une couille dans le potage (linguistique)



Si je n'ai pas au moins 300 vues avec un titre aussi racoleur, je ne sais pas où va le monde ma bonne dame…

Alors que j’ai habituellement tendance à m’en foutre comme de ma première cuillère (à potage, donc), j’ai été confrontée la semaine dernière au sexisme ordinaire du langage. Et (oh ! Surprise !) j’en ai été profondément agacée.

Résumé de la situation :

18h30, il fait nuit, il pleut et je dois laver une couette à la laverie automatique. Les gens étant incapables de la moindre propreté, le parking est un piège à pneu constellé de tessons de bouteilles. Et comme, en ce qui concerne les pièges, j’ai quelque chose d’un elfe… Me voici dans le noir, sous la pluie, en t-shirt (parce que les manteaux, c’est pour les faibles… ou ceux qui pensent à les prendre), à changer ma roue éclatée.
Règle numéro un avant d’affronter une corvée : râler. Si si, c’est important. Ça rend plus efficace, surtout si vous y ajoutez une bordée d’injures. Étant seule, j’envoie une photo du carnage et un petit commentaire cynique à un ami compatissant avant de me mettre à la tâche. 
Quelques minutes et de nombreux jurons plus tard, réponse de l’ami compatissant et dialogue improbable :
«- Merde ! Comment tu vas faire ?
- Heu… Je vais changer la roue ? Que veux-tu que je fasse d’autre ?
- Mais tu sais faire ça ?
- Oui. D’ailleurs j’ai déjà fini.»

Et là, réponse :
«- Wahou ! Quel bonhomme !»

Perplexe, j’hésite entre rire, me gratter une couille ou vérifier que mes seins sont toujours là.

Sachant que l’ami en question n’a vraiment rien du «gros macho sexiste pourvu d’un QI négatif», que c’est même un fervent militant de l’égalité des sexes, je sens bien que sa phrase est supposée être un compliment… Mais vraiment, je n’y arrive pas.

Un bonhomme ? Vraiment ? L’usage approprié du cric et de la clef à pipe aurait donc provoqué l’ablation magique et subite de mon utérus (et de ce qui s’y rattache, on ne va pas chipoter pour si peu) ? Et la poussée, également magique et subite, d’une paire de bourses velues surmontées d’un petit chauve en col roulé ?

Non, vraiment, je m’interroge… Je viens d’investir dans une nouvelle cup, dois-je la renvoyer au profit d’un lot de rasoir Gilette ? Ou puis-je inverser le processus en repassant convenablement un col de chemise ?

Plus sérieusement, ce sexisme ordinaire du langage m’exaspère. Comme si une femme capable de s’assumer de A à Z devenait, d’un coup, pouf pouf, un homme.
J’en déduis que l’autonomie est un obscur breuvage de sorcière à haute concentration en testostérone. Un genre de potion magique à base de coucougnettes broyées (avouez que vous avez l’image... De rien, ça me fait plaisir.) qui transformerait celui qui le consomme en un être admirable, pourvu de toutes les capacités, donc d’attributs masculins.

Petit cours de biologie appliquée à la mécanique de base : pour changer une roue, il vous faut : une roue neuve, une clef à pipe de la bonne taille, un cric, vos mains et éventuellement le poids de votre corps pour desserrer les écrous. ET C’EST TOUT ! Comme vous voyez, l’usage d’un pénis est inutile. Voir franchement déconseillé… sérieusement, ça doit faire super mal…
Dans notre prochain numéro, nous verrons comment cuire des saucisses sans vag… Pardon, je m’égare.

Le pire dans tout ça, c’est que cette petite phrase anodine se veut un compliment. Alors que la même phrase au féminin est employée… comme insulte.
Un homme est ému par un film ? Quelle gonzesse ! *rire gras*
Un homme sait cuisiner et prend plaisir à le faire pour sa femme ? Une vraie petite femme d’intérieur ! *rire gras bis*
J’invite d’ailleurs les coutumiers de cette dernière version à aller le dire à Gordon Ramsay dans sa cuisine. Moi, je regarderai en riant avec du pop-corn (au beurre, pour le gras).

Donc reprenons, pour être bien sûr-e-s d’avoir tout compris :
- L’autonomie est une potion à base de testostérone.
- La sensibilité (et la capacité à faire son ménage) est une potion à base d’œstrogènes (et c’est carrément la honte).

Et les «comme une fille» se multiplient comme synonyme de médiocrité : Tu cours comme une fille, tu pleures comme une fille, tu frappes comme une fille… Juste pour information, la dernière fois que j’ai frappé quelqu’un (sur un tatami), il a dit «aïe». Et même «Aïeuuuuuuuuuh ! Pu**** de bor*** de mer** ! Tu m’as fait mal, conn**** !». Pas «tu frappes comme une fille».

Personnellement, je trouve cette tambouille indigeste. Et il serait plus que temps de dégraisser le bouillon du langage de toutes ces allusions idiotes. Car au final, ces phrases sont tellement passées dans le langage courant qu’elles ne sont même plus vraiment sexistes. Seulement débiles. En tout cas pour une majorité de ceux qui les emploient. Et soyons réalistes : la minorité restante est à dégager avec la graisse du bouillon.