lundi 13 octobre 2014

Tant qu'il y aura du vent : nouvel extrait

Un nouvel extrait de "Tant qu'il y aura du vent"

Il s'agit ici d'un extrait très court. La fin d'un des souvenirs que Shuto se remémore. On se situe bien plus loin dans le roman. Le bateau est toujours bloqué en mer des Sargasses et l'eau potable commence à se faire rare. Vous pouvez retrouver l'incipit du roman ici.

     Calée dans son fauteuil, la tête renversée sur le dossier, elle laissait le vin la prendre. Ses arômes continuaient à résonner sur sa langue ; son parfum l'enveloppait, bouleversant le décor. L'alcool lui tournait la tête. Paisiblement. Sans excès. Juste ce qu'il fallait pour qu'elle s'abandonne. 
Ces côtes de Grâves comptaient parmi ses vins préférés, bien loin devant ces rouges solaires aux goûts de vacances et de fruits cueillis ou prisonniers des branches. Les Grâves lui chantaient un autre air. Elle en repris une gorgée, la laissa longtemps imprégner sa bouche et ses sens. L'avala. Soupira. Non, pas de fruit domestiqué qui attend la main du cueilleur. Le philtre dans sa gorge lui parlait de soleil brûlant au goût de poussière, d'arbres sauvages, de faunes accroupis entre leurs racines. Il lui parlait du fruit mûr qui tombe au pied de l'arbre, et de liberté. Pas de fruit dressé, ni de fruit pourri. Le fruit parfait, gorgé de vie, qui a connu le ciel et enlace la terre. Le fruit sans attente, libre. Il pourrira demain, mais peu importe. Aujourd'hui est fait de sucre et de liberté. Aujourd'hui, son parfum s'étend sur les racines évadées de l'humus.
Se redressant, elle vida ce qu'il restait de sa coupe. Dans ses yeux, l'âme du vin, la liberté des Grâves, dansait. Elle sourit, renversa de nouveau la tête. Sereine, elle s'abandonna au murmure du vin, au chant de la flûte et au roulement des sabots qui peuplaient son âme. Elle pourrirait demain. 
     Face à elle, dans le second fauteuil, un homme l'observait. Amusé de son attitude lascive et du prétexte du vin. Plus loin, bien plus loin, un homme l'observe. Les yeux creusés par la fatigue, les lèvres usées par le sel, il l'observe. Enfin il la voit. Un instant cette soif de liberté déferle en lui, noyant sa propre soif, un instant il goûte ce soleil de poussière. Un instant le plaisir étire sa bouche en un sourire qui lui fend la lèvre. Une goutte de sang, du sombre rouge des Grâves, se forme sur sa peau. Par-delà le temps, par-delà l'espace, il goûte enfin ce plaisir avec elle. Il s'abandonne à leur émotion, et Mnémé lui sourit.

3 commentaires:

  1. j'aime beaucoup ce passage ci, les mots choisis,
    et puis connaissant également ce vin, je comprends et ressens ce qui est écrit
    Ce serait bien que tu t'y remette ;)

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  2. Ça vient. Aujourd'hui grande décision: laisser derrière moi les ambitions des autres.

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  3. Ça vient. Aujourd'hui grande décision: laisser derrière moi les ambitions des autres.

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