samedi 22 mars 2014

Quotidien et partique martiale


La pratique martiale, lorsqu'elle est bien abordée comme un art et non comme un sport, n'est pas de ces activités qui demeurent cloisonnées dans un petit domaine alloué. Bien au contraire, elle déborde, modifie, imprègne tous les domaines de notre vie.

Entrée dans les arts martiaux

Contrairement à beaucoup de pratiquants, je n'ai pas commencé les arts martiaux dans l'enfance. Ce n'est pas faute de l'avoir voulu, mais chaque demande s'est traduite par une inscription... à la danse ! Une lubie maternelle visant à rendre sa progéniture gracieuse et féminine ? Peut-être. Mais en vain. Ceux qui me connaissent savent que ma grâce se situe quelque part entre le fer à repasser et l'enclume de forge !
Bref, j'ai commencé les arts martiaux à 20 ans, une fois mon indépendance bien établie. Je me suis promenée d'art en art avant de connaître un premier arrêt à 25 ans pour des raisons familiales.
Un peu plus de deux ans plus tard, ma rencontre avec Max Senseï ( grâce à mon ami Daniel) me ramenait au dojo. J'ai tenu deux années et demie avant de céder aux mêmes exigences familiales et de mettre un terme à ma pratique. J'ignorais à l'époque qu'en réalité, c'était mon couple que j'étais en train d'arrêter et que j'allais revenir 4 ans plus tard vers le Karaté (entre autres), et surtout vers Max Senseï (entre autres aussi).

Avantages et inconvénients

Mais revenons-en au sujet.
J'ai donc commencé les arts martiaux tardivement. Si si, 20 ans, c'est tardif. Et comme en prime j'ai pas mal butiné avant de trouver un enseignement qui me parle vraiment, je suis restée le plus souvent dans la position du débutant.
Généralement en compagnie de pratiquants qui étaient restés plus ou moins fidèles au même art depuis leur enfance, j'ai pu souvent mesurer les inconvénients d'avoir commencé si tard.
Inutile d'en dresser la liste, tout le monde les connait. La mémoire, la capacité d'apprentissage, l'acquisition de réflexes... Tout cela se fait bien plus lentement à 20 ans qu'à 7. Et je ne parle même pas de la souplesse !

Pour autant, n'y a-t-il vraiment que des inconvénients ? Je ne le pense pas. D'avoir parcouru d'autres chemins, je suis riche aujourd'hui des enseignements qu'ils m'ont apportés. Enseignements, méthodes, conceptions... idées reçues, bien souvent aussi !
Tout cela va parfois dans le même sens que ce que m'enseignent les arts martiaux, et parfois totalement à l'encontre, provoquant de brutales remises en questions.

Quoi qu'il en soit, ce bagage me permet de prendre conscience de ce que la pratique martiale m'apporte à tous les niveaux. Chaque petite modification qui en est issue est visible, analysable. Et je n'aurais probablement pas cette facilité à observer l'influence de la pratique martiale sur ma vie si je n'avais pas d'éléments de comparaison. On se pose beaucoup moins de questions sur les habitudes qui nous gouvernent depuis l'enfance.
"La pratique martiale est quelque chose qui a une profonde influence sur nous. Parfois plus qu'on ne l'imagine." (Tamaki Senseï)
En effet, difficile parfois de réaliser à quel point elle influence des pans entiers de notre vie, en apparence très éloignés. Mais lorsque l'influence arrive brutalement à l'âge adulte, elle devient changement. Bouleversement. Il est alors beaucoup plus facile de la percevoir, de l'appréhender.

Repenser ce que l'on croyait savoir

Entrer dans les arts martiaux, et particulièrement les arts martiaux asiatiques, c'est se mettre en position de tout changer (ou presque). On en vient très rapidement à reconsidérer beaucoup de choses, jusqu'aux plus petits détails, comme la façon de poser son pied en marchant par exemple.
Des détails mais aussi des conceptions plus générales, comme notre rapport aux autres. Ou notre façon d'enseigner.

Certains le savent peut-être, j'enseigne le français (et le latin) en collège. Jusque récemment, je n'avais que rarement remis en question les programmes ou la façon d'enseigner communément admise. Il faut croire que cela devait tout de même arriver, et, aussi étrange que cela puisse paraître à certains, c'est la pratique martiale qui m'a amenée à repenser ma façon d'enseigner. Ma conception même de l'enseignement.

Je ne me risquerai pas à rapporter ici le discours qui a lancé le processus mental, car je n'en ai pas retenu les mots exacts. En résumé, Léo Tamaki  Senseï nous expliquait que son objectif n'était pas tant de nous apprendre un éventail exhaustif de techniques que de nous apprendre à bouger.
Sur le moment, je n'ai pris ces quelques phrases que dans le cadre martial. Mais une fois le cours terminé, elles ont commencé à infuser dans mon esprit, contaminant bien d'autres domaines, soulevant de nouvelles questions. Dont une principale : "Et moi, qu'est-ce que j'enseigne à mes élèves ?" Non pas tant "qu'est-ce que je mets dans mes cours ?" mais bien "qu'ont-ils vraiment appris en fin d'année ? Que leur reste-t-il qui va leur servir ?".

En toute honnêteté, la réponse n'était pas flatteuse. J'ai donc commencé à envisager l'enseignement autrement. Au fond, finir le programme, leur faire apprendre qui était Aragon ou les grands noms du mouvement romantique, ça n'a pas grande importance... J'en entends qui grincent des dents, ils ne vont pas tarder à faire une attaque. Ça n'a pas grande importance, et pire : ça n'a pas grand intérêt, puisqu'ils s'empresseront de tout oublier à peine le cours suivant entamé. On est donc bien dans l'inutile.
Bien sûr, les programmes officiels annoncent tout un panel de compétences à leur donner. Mais la liste des connaissances est telle que bien souvent il faut y renoncer pour finir le programme.


Oui mais...

... alors quel intérêt ? Pourquoi leur faire faire du français, ou pire, du latin, si l'on admet d'emblée qu'il n'en retiendront pratiquement rien ?
J'ai souri toute seule lorsque j'ai compris que la réponse m'avait été donnée en même temps que la question : apprendre à bouger. Il me fallait juste comprendre cela au-delà du contexte. Mais tout est là. Savoir bouger. Avec son corps ou avec son esprit. Bouger dans l'espace, bouger dans un texte, bouger entre deux langues, bouger entre les idées et les concepts pour pouvoir s'en servir.

J'ai donc complètement ré-orienté mes cours, n'utilisant plus le programme que comme un outil, un support pour leur transmettre cette capacité à bouger. Peu m'importe qu'ils connaissent ou non beaucoup d'oeuvres et de textes, je veux qu'ils puissent comprendre n'importe quel texte. Peu m'importe qu'ils sachent écrire un sonnet, je veux qu'ils sachent s'exprimer à l'écrit avec précision et clarté, quelle que soit l'idée qu'il veulent transmettre.

Au final, s'ils ne savent plus qui est Molière quand arrivera le mois de juin, je n'en ferai pas une maladie. Mais s'ils sont tous capables de comprendre un texte inconnu en moins de trois lectures, alors je pourrais considérer que je leur ai vraiment appris quelque chose.
Affaire à suivre, donc...

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